Les Envahisseurs

Ce matin, je prenais tranquillement le petit-déjeuner avec mes amis humains… C’est-à-dire que, tandis qu’ils chassent les brumes du sommeil avec un café ou un thé, je me blottis près d’eux à table, sur ma petite chaise… C’est une oasis de calme avant les défis de la journée…

Mais ce matin, nous fûmes brutalement surpris par des tirs de barrage dignes de Verdun. Stupeur. Des hommes casqués apparurent à notre fenêtre, munis de barres de fer. Des perceuses déchirèrent le silence… A la rambarde, les géraniums et l’hellébore, saupoudrés de plâtras, se mirent à tousser.

Affolé, j’abandonnai ma chaise. Aucune de mes cachettes habituelles n’était à la hauteur d’une telle invasion.
Dans mes paranoïas les plus intenses, je n’avais jamais imaginé pareil scénario : la guerre au petit-déjeuner!…

Rampant, j’optai pour la plus inattendue des planques : ma boîte WC. D’ordinaire, elle me répugne, car elle me rappelle que je ne suis pas un être éthéré, chose que j’ai du mal à admettre même à 10 ans passés, moi qui aime tant la propreté…

Mais ce matin-là, coque solide, cocon acoustique fleurant la Javel, munie d’une porte hermétique, elle me parut le plus doux des asiles. Je m’y blottis.

Mes amis humains furent très étonnés de m’y trouver.
Ils m’ont depuis aménagé un panier au calme dans la cuisine. Ils m’ont parlé « d’échafaudage » et du « ravalement de façade » de notre immeuble, mais on ne me la fait pas!
Nous sommes envahis, je le sais, et il va falloir que je sorte mes amis géraniums et l’hellébore de cet enfer!…

Pivoines

J’aime la table du salon. Et j’aime quand il y a des fleurs dessus.

Bien sûr, il est loin le temps où, jeune chat, je m’attaquais à tout ce qui porte feuilles et pousse sans défense dans un pot…

Mon plaisir, alors, c’était de dépoter le malheureux cyclamen, et de le traîner victorieusement dans la maison par ses racines échevelées, qui traînaient derrière lui, comme la chevelure défaite d’une reine déchue qu’on mène au supplice…

Puis je grattais gaiement la terre du pot, et l’étalais avec conscience dans la maison.

Le soir, on pouvait suivre à la trace mes méfaits, puisque le sol était siglé de mes empreintes pleines de terre…

Plaisirs de rustre, plaisirs passés…

Je suis devenu esthète avec le temps. Et mes amis humains peuvent poser sans crainte un bouquet de pivoines sur la table, sans que je le déchiquète.

La conscience de la beauté m’est venue peu à peu.

Tout d’abord, à force de voir mes amis peinés par le lynchage des plantes, j’ai fini par réserver mes ardeurs à mon herbe à chat. Je n’aime pas leur causer de chagrin.

Mais je ne comprenais toujours pas pourquoi ils mangeaient de la laitue et de la menthe sans états d’âme, et mettaient une fleur dans un vase.

Et puis, un jour, je me suis assis à côté d’un bouquet d’œillets. Vous savez, les œillets des poètes tout en dentelle. J’étais seul. Au lieu de les mordiller, je les ai sentis. L’un m’a chatouillé l’oreille. Un parfum délicat m’a entouré… J’ai fait le tour du bouquet en ondulant, ils m’ont caressé doucement le dos…

J’ai compris que je ne pourrai plus voir un bouquet de fleurs comme avant.

Alors, aujourd’hui, je m’enivre du parfum de nos pivoines…

Et tout à l’heure, j’irai miauler auprès de mes amis, pour qu’ils pensent bien à renouveler l’eau et qu’elles durent plus longtemps… !

Le Veilleur

C’est bien connu, les chats aiment la nuit!..

Nous nous reposons toute la journée, afin d’engranger des forces et d’être en pleine forme quand vient minuit…

C’est l’heure à laquelle je demande tout à la fois : du rabiot de pâtée, un gros câlin, des passes de football, une partie de cache-cache… Et puis qu’on m’ouvre la porte d’entrée, et les fenêtres aussi, pour surveiller la rue…

Après le coup de feu, je me calme et je m’endors avec mes amis…

Mais parfois, je suis aussi le Veilleur.

Si mon ami humain travaille tard, je reste blotti près de lui, contre son ordinateur… Je l’attends, pour aller me coucher avec lui, comme une ombre fidèle…

Et hier, mon amie humaine avait mal dormi. Je l’ai accompagnée à la fenêtre. Il était 5 heures du matin, les oiseaux chantaient déjà, le merle menait le concert… Nous avons regardé la rue vide, les autos endormies, et le grand jardin ombreux bruissant d’une vie invisible aux yeux des humains… Elle me parlait allemand pour une fois, parce que cette langue, quand on la chuchote, ressemble au « fruit’fruit' » des oiseaux dans les branches…

Et nous sommes retournés dormir.

 

 

Joyeux Anniversaire

J’ai dix ans ! Et depuis minuit, voici le tube que j’entends, entonné en choeur par mes amis humains :

« Joyeux Anni-ver-saire, Albert! Jo-yeux A-nni-ver-saire!!!….. »

J’y ai eu droit en me couchant, et en me levant aussi !

Je suis bien content qu’ils pensent à mon anniversaire ! Ce matin, au petit-déjeuner, ils m’ont offert un dôme au thon et aux crevettes, le dôme des grandes occasions!!  Hier soir, j’ai eu droit à un nouveau panier d’été, en osier tressé. J’y ai passé la nuit dans un état de béat confort…

Je sais qu’ils vont m’offrir aussi, ce weekend, un nouveau grattoir de paille pour que je puisse me défouler!… Je travaille mon air étonné, lorsqu’il arrivera, parce que je ne suis pas censé l’avoir deviné. Et je ne veux pas leur gâter la surprise…

Mais le plus beau des cadeaux, mes amis bien-aimés me l’ont fait sans le savoir…

Ce weekend. En suspendant de nouveaux voilages dans la chambre, dans lesquels je me dissimule à merveille, comme une ombre chinoise enveloppée de gaze légère…. Vous devinez ?

Avec ces rideaux neufs, ils ont transformé ma chère fenêtre en affût 4 étoiles, pour guetter les palombes, qui viennent s’y reposer le matin!…

Ah, quel bel anniversaire!!!! 🙂

Les Surnoms

Je vais bientôt avoir dix ans, et, depuis longtemps, je ne compte plus les surnoms que l’on me donne…

Bien sûr, mes amis humains m’appellent régulièrement Albert, mais ils ont par ailleurs beaucoup d’imagination!…

Lorsqu’ils se sentent d’humeur particulièrement affectueuse, un nouveau surnom leur vient, parfois, sur la langue!… Donc mes surnoms changent souvent, comme une météo un peu fantasque…

En décembre, j’étais « Tchoupi ». Au mois de janvier, j’étais « Mimine », ou « Miminou »… En février, c’était « Boubi le chat ».

Et ce matin, mon amie humaine, qui préparait ma gamelle, m’a regardé intensément et m’a dit :

« C’est prêt, Pussycat ! « …

– ?????  »

Je crois que c’est parti pour un mois environ de « Pussycat »…

Ce qu’il me reste à faire ? Me poster sur la gouttière avec une guitare et chanter :

« Je m’présente, je m’appelle Albert,

Je voudrais bien réussir ma vie,

Mais être aimé, c’est bon, je le suis !

Et les surnoms, franchement, ça suffit!… »

Liberté chérie

Mes amis humains ont modifié leurs horaires de travail.

Et en début de semaine, je passe quelques heures seul à la maison.

Au début, je n’étais pas content. Il y a toujours du monde à la maison avec moi d’ordinaire: ils travaillent sur l’ordinateur!! Cela ne me plaisait pas de rester seul maître des lieux!…

Pour retenir mes amis, j’ai mis au point un stratagème: lorsque le dernier enfile son manteau pour partir, je me cache. Du coup, ils sont obligés de me chercher, et je les retiens à la maison…

Vieille tactique plébiscitée par les chats, et utilisée aussi par les enfants!…

Et puis… j’ai pris goût à mes heures de liberté solo…!

Loin des regards, je fais la sieste dans des endroits illicites… Je visite les piles de linge… Je carde paresseusement un journal… Je fais mes griffes sur un pan de canapé, délice tactile qui se savoure sans témoins…

Evidemment, la majeure partie de la semaine, je ne suis pas seul et je me tiens à carreaux!… Mais tout de même : j’ai appris à kiffer mes petits moments de solitude… A tel point que maintenant, j’ai hâte qu’ils s’en aillent pour commencer mes bêtises…

Sans compter qu’après quelques heures d’absence, ils se sentent coupables et me demandent, apitoyés, si je ne me suis pas ennuyé…

Je me retiens de rire dans mes moustaches et je prends un air malheureux… Comme ça, j’ai encore plus de câlins!…

 

La Sonnerie du réveil

Le réveil-matin est une invention humaine qui me laisse pantois.

Pourquoi le réveil-matin, cet assassin de rêves ? Cette épée de Damoclès suspendue au dessus du sommeil le plus doux ? J’ai beau me creuser la cervelle, je ne lui trouve aucune utilité.

Les radiateurs sont faits pour chauffer les chats. Les lits pour les bercer. Les genoux sont faits pour câliner les chats. Les bérets en laine et les chaussures sont faits pour être pétris, les journaux pour être mis en charpie et les sacs à main pour se faire les griffes.

Vous voyez ? Chaque chose a son utilité. Mais le réveil-matin? Je sèche…

Quand j’ai sommeil, je m’endors. Et quand je me sens bien, je me réveille… Si j’ai un doute, je me rendors…  Quel besoin ai-je d’une sonnerie diabolique pour me hurler dessus alors que je n’ai même pas ouvert les yeux?…

J’ai mis du temps à m’habituer au réveil-matin de mes amis humains (je dors auprès d’eux). 

J’ai bien essayé de le menacer, et même de le casser en le faisant tomber. Rien n’y a fait : il est aussi coriace que bruyant.

De guerre lasse, j’en ai pris mon parti…

J’ai même trouvé une solution pour adoucir le réveil de mes amis humains: dès que le réveil sonne, je ronronne et je leur fais un gros câlin…

Et un jour, j’en suis sûr, ils jetteront le réveil-matin à la poubelle!…

Grasse matinée

Ce matin, j’étais dolent sur mon petit fauteuil rouge, où j’ai passé la nuit…

L’oeil endormi, les pattes en manchon comme dit Colette, j’étais tout replié sur moi-même…

Sans énergie, je levais vers mes amis humains un regard fatigué, qui les inquiéta…

« – Mais, tu es malade, Albert ?

  – Albert ne se lève pas! Qu’est-ce qu’il a ??? « 

Les voilà autour de moi qui s’interrogent : suis-je patraque ?

Mon amie humaine se demande si je suis victime d’une infection généralisée, due au bouton d’acné que je porte au menton, qu’on me soigne avec un coton. Faut-il m’emmener chez le véto ?

Ou alors, je fais une crise arthritique soudaine ?Ai-je de la fièvre ? Ou bien tout à la fois:  arthrite fiévreuse et acné bubonique ?

Aaaaaahh, c’est si gentil de se soucier de moi!… Soudain je bâille, je m’étire et je lance :

 » J’AI FAIM!!!! VOUS AVEZ OUBLIE MES CROQUETTES CE MATIN !!!!!  « 

Chaton de noisetier

Dimanche, j’étais à ma toilette. Je me massais délicatement les joues après avoir dégusté un mémorable sachet au carrelet et à la crevette…

Le soleil d’hiver brillait derrière la vitre. Nous étions bien au chaud…

Quand soudain, mon amie humaine me fixa, et déclara :

« – Chaton de noisetier.

– Plaît-il ? » fis-je. De stupeur, j’interrompis ma toilette, une patte en suspens… De quel chaton parlait-elle ?

– « Chaton de noisetier « , répéta mon amie humaine, aussi hermétique que Citizen Kane prononçant rosebud…

Je n’y comprenais plus rien. Elle m’éclaira :

– « Voilà près de dix ans que je cherche un qualificatif pour tes yeux, Albert. Je viens enfin de trouver.

-Ah, bon!… C’est… C’est très gentil, merci!  » fis-je, soulagé et flatté.

– « Ils sont parfois jaunes, parfois verts, parfois les deux », continua-t-elle.  » Et, quand tu es particulièrement heureux, une certaine eau te monte aux yeux. Elle a la couleur des chatons de noisetiers au printemps : un vert-argent-jaune très spécial…. ».

Elle reprit sa lecture, et moi ma toilette. En y réfléchissant, j’étais encore plus content ! Nous autres chats, nous avons des yeux aussi insaisissables… que nous!… Rien ne sert de les enclore dans un adjectif tout fait, il faut chercher et chercher encore….

Ma cabane au salon

Ma cabane chérie n’est pas au Canada. Ni au bord de la mer, non non…

Elle est en plein milieu du salon.

En effet, mon ami humain a plié à mon intention une couverture sur un fauteuil, en le transformant en tipi. Il y a juste une petite ouverture, grâce à laquelle je rentre et je sors de ma cabane, chaque fois que ça me chante…

C’est-à-dire très rarement : en ce moment, je n’en sors que pour manger. Il fait si froid…

Tiens, voilà mon amie humaine :

 » – Ah, bonjour Albert!!!! Tu vas bien ???

  –  ‘jour…

  – Albert ???… »

Je n’ai pas le temps de répondre: j’ai déjà la bouche pleine. Et pour cause : mon plateau-repas (eh oui, ils m’ont offert mon petit plateau-repas à moi tout seul…), mon plateau-repas, disais-je, est à un mètre de ma cabane.

Un mètre de marche, aller-et-retour : n’est-ce pas amplement suffisant comme exercice physique ?…